• Ségrégation

    « J’aurai jamais dû aller en SEGPA »

    « On nous traite de gogols »

    « C’est une école de fous »

    Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu ce discours de la part de mes élèves. En en creusant un tout petit peu, on constate qu’ils souffrent réellement de cet a priori sur la SEGPA. Ils sont regardés de travers dès que l’on sait où ils sont scolarisés.

    C’est encore pire en EREA, car en SEGPA on peut encore essayer de faire illusion en donnant juste le nom du collège et la classe. Mais peu de gens savent ce qu’est un EREA et nos élèves non plus finalement.

    Un EREA c’est un collège + un lycée pro + un internat (pour certains)

    Un collégien EREA = un collégien SEGPA

    Pourtant ce ne sont pas les seuls à souffrir de « ségrégation » scolaire. Tout le système éducatif est gangréné par cet élitisme. Les filières générales regardent de haut les filières techno qui regardent de haut les filières pro … et les SEGPA regardent de haut les EREA qui regardent de haut les ULIS ou les ITEP, etc…

    On pourrait attribuer cela à l’adolescence qui est une jungle, blabla… Mais cela est également vrai chez les enseignants !!

    Quand je dis à un collègue de primaire ou de secondaire où je travaille, on me regarde d’abord comme si je parlais chinois, puis une fois qu’ils voient de quoi je parle, je me vois gratifiée d’un compatissant « tu as bien du courage… ».

    Quand un remplaçant est nommé dans mon établissement, on croise les doigts pour qu’il vienne et y reste le temps du remplacement !! Parfois, on ne le voit jamais !

    Les nouvellement nommés à un poste en EREA en « poste septembre » sont en général paniqués les premiers jours, rien que par les « on dit ».

    Et pourtant…

    Souvent, ils restent l’année d’après… et s’ils partent, ils partent avec un certain regret… Etonnant non ?

    Et bien non, ce n’est pas étonnant ! Nos élèves ne nous mangent pas tout crus, et oui, on peut ENSEIGNER en EREA ou en SEGPA.

    Bien sûr, ce n’est pas la même chose qu’en primaire. Nos élèves ont souffert de longues années d’échec scolaire.

    Ce n’est pas facile de prendre la mesure de ce que cela veut vraiment dire quand on a soit même fait de longues études, peut-être au pire redoublé une fois au cours de sa longue carrière d’élève.

    L’échec scolaire, c’est le long terme, c’est tout ce qui constitue l’égo d’un enfant qui est renié, ce sont des conflits avec sa famille, des conflits avec ses enseignants, des moqueries et des brimades de la part des autres élèves.

    Pour survivre à l’échec scolaire, un enfant doit se construire une carapace et se trouver une raison à son échec : des raisons extérieures, comme les profs sont nuls, l’école sert à rien, c’est parce qu’on m’a envoyé dans cette école, j’avais des problèmes dans ma famille, etc…

    Parfois ils ne se trouvent pas de raisons extérieures et leur estime de soi devient nulle.

    Souvent c’est un mélange des deux…

     

    Alors en classe, la priorité ce n’est pas le contenu, pas au début en tout cas ! Selon moi, les connaissances, les compétences scolaires qu’on nous demande de leur transmettre (tiens, c’est une bonne remarque ça, quels contenus d’ailleurs ? le programme du collège ? du cycle 3 ? du socle ? palier 2 ? palier 3 ?), ne sont que des supports pour recréer une estime de soi et une confiance en l’école.

     

    Alors que faire ??

    Pour moi, la première chose à faire, c’est d’apprendre à connaitre ses élèves. Je ne veux pas dire par là qu’il faut lire leur dossier (souvent dramatiquement vide) ou leur faire remplir des fiches de renseignements à tout va. Il faut les faire parler, discuter avec eux, créer un climat d’écoute et de confiance et cela veut parfois dire parler de soi aussi, parce que c’est ça une relation. Et si c’est trop compliqué en groupe classe, alors il faut trouver d’autres moments, après le cours, à la récréation, en sorties… Apprendre à les connaitre, eux les personnes et non pas les élèves, et ne pas les juger. Apprendre à connaitre leur personnalité et non pas nécessairement leur passé.

    Ensuite, varier les méthodes, en fonction des élèves, voir ce qui marche ou non, tester, tout en gardant un éternel optimisme face aux élèves : « ça va marcher ! Tu vas y arriver, ya pas de raison ! »

    Rester également positif face aux échecs. Bien sûr en privé on rage quand on corrige une évaluation ratée, mais au moment de leur rendre, il faut se garder de les culpabiliser. Même s’ils jouent la comédie du « j’m’en fous d’t’façon ! », vous pouvez être sûr que ça ne leur fait pas plaisir. On cherche des explications : pas compris, pas assez révisé… sans les enfoncer ! Et on propose des solutions : étude, fiche de révision explicite, devoir de rattrapage, soutien individuel lors de la proche évaluation… Et on se remet aussi en question, si la moyenne de la classe est trop basse, c’est peut-être aussi les évaluations qui sont trop difficiles ou qui ne correspondent pas vraiment à ce qui a été travaillé en classe.

    Face à un élève en grande difficulté, il m’est arrivé de le surnoter ou de l’aider beaucoup durant l’éval, afin qu’il ait une bonne note ! Et la conséquence de cette bonne note, ça a été une autre bonne note, mais celle-ci avec beaucoup moins d’aide. La réussite crée la réussite !

    Alors, certes, on dépense de l’énergie, certes, on essuie parfois des échecs et on doit très souvent se remettre en question, mais enseigner en SEGPA/EREA, ce n’est pas une punition ! C’est même selon moi une chance ! Une chance de laisser tomber nos a priori élitistes et de s’ouvrir aux autres. De découvrir des jeunes passionnants et qui ne demandent en fait qu’à apprendre, des jeunes qui ont gardé leur curiosité d’enfants et avec qui de réels liens se créent.

    Alors, oui je râle, oui ils me fatiguent, mais je ne changerai jamais de métier !

    « L'enseignement de la littératureMises à jour »
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  • Commentaires

    1
    Lundi 16 Février 2015 à 18:29
    2
    Mayleb
    Lundi 16 Février 2015 à 19:57

    Eh oui la bienveillance c'est souvent magique.

    3
    Jardijulie
    Lundi 16 Février 2015 à 21:15

    Tombée dans la SEGPA il y a 4 ans au détour d'un remplacement d'1 an (je remplaçais une collègue qui n'est jamais venue...) et restée depuis. En cours de CAPASH (pour la deuxième fois pfffff). Mais je confirme : beaucoup d'énergie, beaucoup de travail et la satisfaction d'avoir de vraies relations avec des élèves (pas toujours faciles, c'est vrai) chose qui m'était impossible en maternelle à 31 (si, ça existe, en PS).

    4
    Mardi 17 Février 2015 à 07:23

    Jardijulie : je suis dans une école mater actuellement où à part ma classe à 28, les 4 autres dont les deux GS sont à 32, alors je te crois, ça existe ;-)
    J'ai fait cependant des segpas tellement dures, que même à 14 dans la classe tu ne sais pas où donner de la tête. Et d'autres où tu chouinais quand on te blindait à 18, mais côté relations et boulots avec les élèves, ça ne posait pas trop souci quand même ;-)

    5
    Virgette
    Mardi 17 Février 2015 à 13:58

    Après 10 ans dans le secteur privé, je me suis décidée à passer le pas et à devenir PE. Quand on sort de l'IUFM, on ne choisit pas où l'on va et il y a 8 ans, je me suis retrouvée en SEGPA, à une semaine de la rentrée ... et j'y suis encore ! Jardijulie, courage, moi aussi, je l'ai passé deux fois le capa-sh ! 

    je ne pense pas que je serai encore dans l'enseignement si je n'avais pas eu la chance d'être en Segpa ! Bien sûr, nous avons des journées difficiles, bien sûr, cela m'arrive - souvent - de râler mais quand j'entends un élève très difficile me dire, "oui mais vous êtes juste" ..., je me dis que tout n'est pas perdu ! j'adore travailler en projets et grâce à toi, SegpaAliénor, et à toi, Sagebooker, j'ai pu mettre en place des projets motivants et intéressants pour les élèves ! Depuis 3 ans, nous menons des projets "Mini-entreprises", avec 3 projets innovants et reconnus. Quand une personne de la Chambre de Commerce régionale trouve que nos élèves sont vraiment top et qu'on entend une assemblée de professionnels les applaudir, je suis fière d'eux !

    Qui plus est, je suis dans une Segpa avec internat, et l'heure que je fais le soir, après 17h, crée un  relationnel précieux et qu'il est important de mettre en place.

    Merci pour cet article !

     

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    6
    Mardi 17 Février 2015 à 14:50

    Oh la chance que tu as de passer une heure en internat avec eux ! J'ai adoré être éducatrice en EREA mais la classe me manquait, un mix des deux serait top !

    7
    Marievex
    Mardi 17 Février 2015 à 17:00

    Chouette ce témoignage et merci pour ton site qui s'est vite révélé être une mine d'or pour moi, fraîchement arrivée en SEGPA à la rentrée dernière.

    Quand je suis arrivée on m'a dit :"Tu vas voir, ils sont attachiants."

    Je trouve que ça résume pas mal les faits oui ^^ !

    Encore merci pour le partage de ton travail.

     

    8
    Mardi 17 Février 2015 à 19:46

    Virgette : comme ça marche, ton projet mini-entreprise ? Cela doit être passionnant... même sans segpa désormais, j'adorerai que tu nous racontes !

    9
    Mardi 17 Février 2015 à 20:01

    Très bel article! On sent toute ta passion pour ce travail et ton implication auprès de ces jeunes malmenés par le passé! Bravo à vous les collègues pour votre enthousiasme, votre ingéniosité et votre générosité!

    10
    Mardi 17 Février 2015 à 20:01

    Merci pour cet article qui tombe à point nommé !!!

    11
    Nathalie
    Mercredi 18 Février 2015 à 09:09

    Merci pour ton remarquable travail sur la 1ère GM, c'est passé "crème" avec mes 3ème qui en plus ont particulièrement apprécié la BD de Tardi. J'ai complété avec le film "Joyeux Noël"

    12
    Lu
    Mercredi 18 Février 2015 à 11:21

    Quel bel article! Merci! J'enseigne en EREA depuis 4 ans. Dans notre établissement, tous les enseignants effectuent des heures éducatives avec les élèves (repas midi et soir, étude, activités, veillée à l'internat de 20h à 21h). 

    Nous avons tous environ 14 heures d'enseignement et le reste en temps éducatifs. Cela nous permets aussi d'organiser notre emploi du temps. Mes journées sont plus longues mais je ne travaille que 3 jours dans la semaine. 

    Ainsi, nous avons une parfaite connaissances des élèves et souvent une belle complicité.

    Ce n'est pas toujours évident mais je suis tout à fait d'accord avec toi: quel enrichissement et que de beaux moments aussi!!

    Je n'envisage pas de travailler ailleurs!

     

    13
    bleue63
    Lundi 30 Mars 2015 à 20:18

    Très bel article! Je travaille dans un EREA où les PE ont un mi-temps éduc et un mi-temps prof et j'avoue que j'apprécie bien plus que quand je travaillais dans une SEGPA pure. Le lien que l'on établit avec les internes nous aide tous les jours en classe. 

    Je retrouve ces a priori ici... notamment avec les remplaçants que l'on ne nous envoie plus depuis 2 ans. On s'auto gère, les PE en soutien jouent les remplacants, cela peut être lourd mais pas le choix.

    Nos plus jeunes sont en 4ème, et on se rend compte à leur arrivée qu'ils sont complètement détruits par le système scolaire et la vie en générale. Notre principal but, c'est de leur redonner confiance. Et cela marche pour la plupart!

    Ce n'est pas rose tous les jours, il faut bien l'avouer, mais pour l'instant je n'ai aucune envie de changer, je me sens bien et utile pour ces jeunes qui n'ont souvent que nous comme repère dans la vie. 

    14
    Jeudi 30 Avril 2015 à 17:54

    C'est sûr que l'image qu'ils ont d'eux parce qu'ils sont en SEGPA est souvent bien mauvaise.. Encore ce matin, une élève qui dit à une autre "Arrête de lire comme une SEGPA". Bienveillance de notre part reste le maitre mot, je suis bien d'accord !

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